Connaissance des Arts Octobre 2008
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Dominique, un modernisme "vivable"
Objet d'une première monographie aux éditions de l'Amateur, exposée sur le stand de Willy Huybrechts à la Biennale des antiquaires puis à la galerie en octobre, la maison de décoration Dominique retrouve une place de choix dans la sphère des créateurs Art Déco.
Contemporaine de Jacques Adnet et Jules Leleu, la maison Dominique a été fondée en octobre 1919 par André Domin et Marcel Genevrière. Respectivement dessinateur et critique d'art. les deux associés entendent bien « rompre avec les formes du passé ». Leur plaquette publicitaire, éditée au moment du Salon d'automne de 1924, en dit long sur leur intention : « Dominique délivre du cauchemar de l'ancien ». « Même s'ils sont les continuateurs d'une grande ébénisterie traditionnelle française, ils ne se voient pas comme des copistes et se considèrent comme d'authentiques créateurs contemporains », affirme le galeriste et expert Félix Marcilhac, auteur de la première monographie sur la maison de décoration. « Depuis deux décennies, avec admiration et sans aucune servilité, ne s'étaient-ils pas accaparé le délicieux galbe du style Louis XV et les fines attaches du style Louis XVI, sinon la rigueur des formes statiques du style Empire, pour concevoir leur propre mobilier et créer un style distinctif n'appartenant qu'à eux ? », écrit-il dans son livre. Tributaires à leurs débuts d'un « style boudoir », André Domin et Marcel Genevrière n'en simplifient pas moins les formes, réduisant au maximum les volumes. Ils utilisent des essences de bois précieux, souvent exotiques : bois d'amarante, palissandre de Rio, acajou de Cuba ou ébène du Gabon. Dès 1922, au Salon de la Société des artistes décorateurs, la maison Dominique se démarque, avec la présentation d'un « salon de dame » constitué d'un bureau et de deux fauteuils corbeille disposés en pans coupés. Autant de «formes volumétriques enveloppantes », selon Félix Marcilhac, qui seront les prémisses d'une production d'avant-garde en collaboration avec le « Groupe des Cinq ». À l'instigation de l'orfèvre Jean Puiforcat dont il vient d'aménager la résidence à Biarritz, André Domin s'associe aux créateurs de mobilier Pierre Chareau et Pierre Legrain, ainsi qu'au joaillier Raymond Templier. Ensemble, ils vont exposer quatre ans de suite, avec une volonté commune de rénover l'art décoratif français. « Procédant ainsi qu'un architecte qui dresse son épure par plans et volumes, André Domin efface pratiquement tout décor inutile pour y parfaire des surfaces planes et nettes », écrit encore Félix Marcilhac. Pour la première exposition du « Groupe des Cinq » en avril 1926 à la galerie Barbazange à Paris, André Domin présente l'un de ses premiers meubles à plusieurs fonctions : une table de fumeur en palissandre dotée d'un plateau octogonal, dont un mécanisme ascensionnel habilement dissimulé dans la gaine centrale permet de libérer un luminaire et une cave à liqueurs. Pour le critique de l'époque Henri Clouzot, André Domin est un « constructeur » par opposition à d'autres ensembliers qu'il perçoit comme des « assembleurs ». Le grand meuble noir laqué par le Japonais Hamanaka qu'il présente l'année suivante avec le « Groupe des Cinq » en témoigne, « rigoureux dans sa construction et sévère dans son apparence ».
Au contact de Chareau et Legrain, Domin conçoit de plus en plus fréquemment des meubles « puissants et massifs », recouverts de plus en plus souvent de peau de requin ou de raie. « D'autres que lui, à l'instar d'un Ruhlmann ou d'un Leleu, utilisaient déjà le galuchat comme complément ornemental, mais aucun n'avait encore envisagé d'en recouvrir simplement toutes les parties d'un meuble sans autre artifice décoratif», poursuit Félix Marcilhac. Sa vitrine au corps cylindrique entièrement gainée de galuchat et dotée d'une niche recouverte de feuilles d'or (1927), souvent reproduite dans les ouvrages généraux dédiés aux créateurs de cette période, est emblématique de cette nouvelle manière. Tout autant qu'un petit guéridon au plateau rectangulaire recouvert de peau de requin et marqueté de filets d'ivoire en losanges, présenté lors de la troisième exposition du « Groupe des Cinq » en juin 1928 à la galerie Georges Bernheim. Un grand meuble d'appui en palissandre muni d'une entrée de serrure signée Puiforcat marque aussi la fructueuse collaboration entre le décorateur et l'orfèvre. En mars 1929 à la galerie La Renaissance, André Domin présente, aux côtés de meubles à structure métallique de Chareau, des pièces au modernisme plus sage : un lit et un secrétaire gainés en peau de requin ainsi qu'un meuble d'appui en noyer à parements de métal chromé.
Cette quatrième exposition des « Cinq » sera aussi la dernière, la cohésion du groupe ne résistant pas à la disparition de Legrain la même année. « Rejoignant les membres fondateurs de l'U.A.M. ( Union des Artistes Modernes), Pierre Chareau, Jean Puiforcat et Raymond Templier se séparaient définitivement d'André Domin et de Marcel Genevrière, ces derniers considérant, non sans raison, qu'ils n'avaient pas leur place au sein de cette nouvelle société de décorateurs dont le Manifeste revendiquait entre autres choses la mort du décor », raconte Félix Marcilhac. Demeurés seuls, les deux associés de la maison Dominique vont se replier sur eux-mêmes, participant rarement à des manifestations de groupe. « Faute de se remettre stylistiquement en question, André Domin et Marcel Genevrière se condamnaient à donner de leur maison de décoration une image institutionnelle, figée et stérile, dont ils ne se dégageraient que difficilement. »
L'année 1933 verra le début de leur collaboration avec la Compagnie générale transatlantique. Domin et Genevrière conçoivent les aménagements intérieurs des appartements de grand luxe du paquebot Normandie avec les membres de la Société des artistes décorateurs Jules Leleu, Paul Montagnac et Louis Süe. La suite Rouen qui leur est confiée « est la plus avant-gardiste des quatre, à défaut d'être la plus luxueuse ». Les matériaux employés sont d'un raffinement inouï : murs tendus de parchemin ou de laque bleu moucheté argent, huisseries en placage d'ébène de Macassar, meubles gainés de peau de requin. Bridge room, coursives et cabines de première classe sont également confiées à la maison Dominique. Ce qui, l'année suivante, vaudra à André Domin d'être élu vice-président du Syndicat des artistes décorateurs. Il se maintiendra à ce poste jusqu'en 1939, avant d'en devenir président jusqu'en 1945.
Après-guerre, la maison de décoration va renouer avec un style « néoclassique ». « L'approvisionnement en bois rares et précieux étant à nouveau possible, André Domin et Marcel Genevrière s'évertuèrent à les mettre en valeur sur leurs nouveaux modèles et n'hésitèrent pas à enrichir le jeu des placages d'incrustations de filets de laiton et de découpes arborescentes, allant même jusqu'à demander au peintre Camille Hilaire de leur dessiner des silhouettes féminines pour les disposer au milieu de marqueterie d'ébène et de nacre, à la manière de certains grands ébénistes du passé... » Renouant avec la laque à partir de 1946, ils confient au fils de Jean Dunand. Pierre, le soin de revêtir de laque noire certains des nouveaux modèles de meubles et sièges de la maison. Puis ils demandent à Paul Cressent d'exécuter en 1947 le décor d'un bahut aux couleurs mordorées oxydées d'argent rehaussé de bronzes dorés pour un nouveau mobilier destiné au président de la République, Vincent Auriol. L'ensemble, conçu pour le premier étage du palais de l'Élysée, compte également un meuble d'entre-deux en ébène du Gabon et une série de quatre fauteuils et quatre chaises en bois laqué noir recouverts de tapisserie d'Aubusson actuellement conservés au Mobilier National.
La production des dernières années continuera à « privilégier la ligne droite pour définir de solides volumes parfaitement proportionnés, généralisant les socles en plateaux d'assise », poursuit l'auteur. Viennent s'y ajouter « des enrichissements de matières, ivoire, étain, cuivre, en applications ou incrustations », ajoutés à des sabots, des chapiteaux et des bagues en bronze argenté ou doré. À partir de la. fin des années 50, la marine militaire et marchande fera appel à la maison Dominique. Pour le porte-avion Clemenceau comme pour le paquebot France, Domin et Genevrière étudieront de nouvelles techniques pour travailler le métal. Alain, fils d'André Domin, s'efforcera d'innover avant d'être contraint de fermer la maison dans les années 70. À Père de Verner Panton et de Joe Colombo, l'époque n'est plus aux décorateurs.