Connaissance des Arts Mars 2011

Connaissance des Arts Mars 2011
  • Evénement: Les portraits de Van Dongen
  • Photographie: Dans l'objectif des Préraphaélites
  • Architecture: La Gaîté Lyrique et le Numérique
  • Le Mariage Ambigu de l'Art et des People

 

MARC DU PLANTIER

Entre Jean-Michel Frank et Jean Royère, il existe un grand décorateur méconnu:Marc du Plantier (1901-1975) à l"œuvre parfaite mais à la carrière inégale. À l"occasion de la publication aux éditions Norma d"une monographie signée Yves Badetz, voici le portrait de l"un des plus mystérieux tenants de l"élégance française des années 1940.

Dans les années 1980, la redécouverte de Marc du Plantier est une aubaine pour les collectionneurs: il incarne

le summum du goût français et de l'élégance cultivée des années 1940, années remises à la mode avec éclat par Ie galeriste Yves Gastou. La méconnaissance de son travail, son oubli, .et donc sa rareté sur le marché, en 1980 com­me aujourd"hui, font de lui une légende. On compare volontiers les mystères qui l"entourent à ceux qui ont nimbé la vie et l"œuvre de Jean-Michel Frank, autre puriste pour qui le décor était dans l"absence de décor et de fiori­tures. Frank faisait dans la forme simple, « à l"os », mais recouverte luxueusement. Du Plan­tier était moins radical. Chez lui, le luxe était réellement somptueux; ce n"était pas du « pau­vre » métamorphosé en luxe, comme le prati­quait Frank avec la marqueterie de paille ou le stuc. De plus; ce dernier ne travaillait pas seul mais entouré d"autres créateur et il avait pignon sur rue. Du Plantier exerçait en solitaire car il se voulait entièrement libre. Il n"avait ni agen­ce, ni boutique, ni conseillers et ses comman­des provenaient de ses amis rencontrés dans les très hautes sphères. Il recrutait sa clientèle seul, lors des soirées mondaines, ce qui le rendait plus sensible aux aléas. Et si le goût d"une certaine « nudité )} dans le décor peut réunir les deux créateurs, ce qui fut pour Frank le credo d"une vie ne dura qu"un moment pour Marc du Plantier, qui a plus tard été séduit par les mélanges de styles et les évolutions du goût.
Son parcours s"est fait en zig- zag, avec des hauts et des bas, dans les ventes comme dans les succès, selon les pays où il vécut. Encensé pour son néo classicisme frisant la perfection, il fut en réalité bien plus personnel et extra­vagant (en cela il n"est pas si loin d"un Emilio Terry!) et bien plus en prise directe avec les diverses inclinations du moment. Il n"y a pas un Marc du Plantier mais plusieurs. La récente monographie due à Yves Badetz a le mérite de mettre en lumière des pans entiers de styles, d"expériences et de projets restés dans l"ombre car ne correspondant guère au Du Plantier consacré.

L"élan néoclassique
Celui que l"on célèbre est le Marc du Plantier qui en 1932, à 33 ans, a déjà fait réaliser sa chaise Égyptienne d"après le trône de Toutan­ khamon. On fête le jeune créateur ébloui par les lignes de l"Antiquité, qui leur réinvente un côté « précieux»: d"un lit de repos aux formes ascétiques, il fait un lit-chaise-longue en fer doré matelassé de satin rose. Au guéridon au piétement ravissant de gerbes de blé filiformes (que l"on imagine près de Napoléon sous sa tente de campagne), il ajoute un plateau en miroir avec un planisphère or et vieil argent gravé par Max Ingrand. Très attentif au piéte­ ment de ses meubles, il invente des pieds de tables ou de consoles en colonnes carrées et cannelées, en fûts aux corolles de feuilles de papyrus. I"Egypte le fascine. Ses chaises et fau­ teuils Égyptiens ont un piétement dit « de jar­ ret de lion» très épuré, souvent en chêne céru­sé. Le galeriste Patrice Trigano en meublera son appartement dans les années 1970. Et on les lui commandera jusqu"à sa mort, en 1975! Les Étrusques ne sont pas en reste dans son Antiquité rêvée, parfaitement domptée. Il utili­ se le jaune safran, le rouge pompéien sans com­plexes. À la fin des années 1930, il ajoute des éléments un brin surréalistes, oniriques, com­ me les toiles peintes à la manière de fresques qu"il a réalisées pour sa salle à manger de la rue du Belvédère, à Boulogne- Billancourt: une pièce qui lui servira toute sa vie de show-room. Dans les corps nus de ses « fresques » immen­ ses, il règne une étrangeté faite d"une pincée de Christian Bérard, d"un nuage de Gruber et d"un zeste de tous ces peintres du courant néo­ romantique, alors à leur zénith. Ce décor sera acheté par Ileana Sonnabend, qui l"exposera, avec les indispensables chaises Égyptiennes, dans sa galerie new-yorkaise en 1973 ...
Le talent de Marc du Plantier n"est-il pas d"être polymorphe, pétri d"inspirations diver­ses qu"il secoue avec une extrême habileté, comme dans un shaker? Tout ce qu"il a fait n"est-il pas le fruit d"un cocktail génial? Les choses se compliqueront quand il fera autre chose que du « signé Du Plantier » immédiate­ ment reconnaissable.
L"artiste incompris
Qui a jamais su, par exemple, qu"il raffola du plastique transparent (l"Altuglas), autant que des murs entièrement peints de tons vifs et osés comme l"orangé, le rose, le rouge, le bleu per­venche? On a l"image d"un ordonnateur rigoureux d"espaces princiers traduisant la simpli­cité, l"équilibre, la légèreté ... ces fameuses qualités si difficiles à marier qui font le chic français. Un chic dont il relevait le blanc et le noir par l"opulence de marbres incrustés, ou par de l"or. Ce qui fut parfaitement vrai dans les années 1930 et 1940. Comment expliquer cette audace, ensuite, à marier avec finesse le bleu turquoise et le violet, le rose et l"orange, le marine et le rouge, comme dans les films des années 1950 en technicolor de Vincente Min­nelli? Ce changement dans son travail ne fut pas toujours compris. Ni en Espagne, où il vécut dix ans et où l"on attendait de lui un bon goût et un classicisme distingué auxquels il se conforma.

Ni au Mexique, où il s"exila quatre ans. Ni à Los Angeles, où il avait de la concurrence pour l"utilisation des couleurs et où, visiblement, on espérait autre chose d"un décorateur si fran­ çais. Marc du Plantier n"avait pas le génie d"un Jean Royère, qui savait swinguer avec poésie et fraîcheur. Sa période 1950 révélait pourtant un grand talent artistique, inventif et plein de charme, mais les temps étaient durs à Paris et l"on avait perdu de vue ce décorateur « réfugié» en Espagne. Peu à peu, il reprit sa place dans divers grands salons, comme le Salon des artis­ tes décorateurs (celui de 1949 et les suivants), et dans les plus intimes et plus huppés, tels les jeudis de la brillante Marie-Louise Bousquet, directrice de l"édition française de « Harper"s Bazaar », Il retrouva aussi le couturier Jacques Heim, qui raffolait de ce qu"il faisait. Mais tout avait changé; Marc du Plantier restait une sor­ te d"artiste solitaire et incompris. L'éclectisme de son «goût nouveau» était vécu comme une versatilité et n"était pas apprécié à sa juste valeur dans les milieux qu"il fréquentait. Il était le spécialiste de l"opulence classique et des ta­bourets antiques garnis de coussins en cuir lacés directement sur la structure en fer doré. Comment aurait-il pu convaincre, avec ses nouvelles « compositions» mêlant l"esprit d"un Picasso, d"un Braque et d"un Matisse tout en conservant le style de Zadkine des années 1930? Ses chambres et ses salons étaient parsemés de nouvelles et splendides lampes, de ses peintures plus du tout étranges, aux soleils éclatés, de ses sculptures tourmentées. L'ensemble était très gai mais laissait un arrière-goût de bric-à­ brac, un manque d"unité qui, aujourd"hui, eut ravi. En 2011, l"esprit même de sa décoration des années 1950,1960 et même 1970, auraient eu un succès phénoménal.
Sans doute eut-il trop de cordes à son arc, trop de curiosités? Trop de fortune person­nelle, pas assez de contraintes? Peut-être se versatilité et n"était pas apprécié à sa juste valeur dans les milieux qu"il fréquentait. Il était le spécialiste de l"opulence classique et des ta­ bourets antiques garnis de coussins en cuir lacés directement sur la structure en fer doré. Comment aurait-il pu convaincre, avec ses nouvelles « compositions» mêlant l"esprit d"un Picasso, d"un Braque et d"un Matisse tout en conservant le style de Zadkine des années 1930? Ses chambres et ses salons étaient parsemés de nouvelles et splendides lampes, de ses pein­ tures plus du tout étranges, aux soleils éclatés, de ses sculptures tourmentées. Lensemble était très gai mais laissait un arrière-goût de bric-à­ brac, un manque d"unité qui, aujourd"hui, eut ravi. En 2011, l"esprit même de sa décoration des années 1950,1960 et même 1970, auraient eu un succès phénoménal.
Sans doute eut-il trop de cordes à son arc, trop de curiosités? Trop de fortune person­ nelle, pas assez de contraintes? Peut-être se retrouva-t-il prisonnier de la cage dorée qu"il sétait construit lui-même pour, justement, gar­der la liberté de créer. .. Se sentait-il enfermé, comme les cristaux bruts qu"il emprisonnait dans les cages géométriques de ses pieds de lampe? Mélancolique, le sublime Du Plantier néo classique aurait-il voulu être reconnu comme artiste, et non uniquement comme un «faiseur» de meubles, si excellent soit - il?

 

Connaissance des Arts Mars 2011
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