Personnalité taciturne et fugueuse, Jean-Michel Frank grandit dans la bourgeoisie de l'avenue Kléber durant les derniers soubresauts de l'affaire Dreyfus. L'adolescent construit peu à peu ses repères dans l'amitié avec le futur poète surréaliste René Crevelet avec Voir plus
Personnalité taciturne et fugueuse, Jean-Michel Frank grandit dans la bourgeoisie de l'avenue Kléber durant les derniers soubresauts de l'affaire Dreyfus. L'adolescent construit peu à peu ses repères dans l'amitié avec le futur poète surréaliste René Crevelet avec Léon Pierre-Quint, futur éditeur et premier biographe de Proust. Jacques Porel, son condisciple au lycée Janson-de-Sailly écrira dans Fils de Réjane, souvenirs : « Jean-Michel était très mal vu de tous ses camarades. On le trouvait ridicule, absurde. Tous ces éphèbes boutonneux, aux voix déjà graves, ivres de brutalité, jugeaient inadmissibles son aspect de poupée orientale et sa voix de fausset. Les professeurs eux-mêmes étaient gênés par sa petite présence. » Jacques de Lacretelle s’inspirera en 1922 de ses traits physiques et psychologiques pour camper le héros d’un de ses plus fameux romans, Silbermann. L'auteur évoquera « Sa voix était basse et entrecoupée ; elle semblait monter des régions secrètes et douloureuses ; j'entrevis chez cet être si différent des autres une détresse intime, persistante, inguérissable, analogue à celle d'un orphelin ou d'un infirme ».
Rue de Verneuil
Délaissant une vie facile et dilettante d'héritier3, le jeune homme décide en 1921 de réaliser ses premiers aménagements, ceux d'amis : l’appartement de Pierre Drieu la Rochelle, qu’il avait rencontré par l’intermédiaire de René Crevel et celui du typographe Charles Peignot. Frank devient très vite un décorateur de l’intelligentsia parisienne, d’artistes évoluant autour du surréalisme4,5. En 1924, le décorateur emménage au 7, rue de Verneuil dans un hôtel particulier du xviiie siècle. À l'étage noble, il fait décaper les lambris d'origine pour les laisser bruts, tout en réduisant le mobilier au strict minimum. La salle de bains surprend par un coffrage intégral constitué de grandes plaques de marbre blanc zébré de longues veines anthracite, offrant au regard un écheveau de lignes diagonales qui crée un effet cinétique saisissant6. L'étonnant fumoir laisse une impression plus apaisante avec son plafond et ses murs entièrement marquetés de brins de paille blonde qui renvoient une lumière ondoyante et soyeuse. Frank choisit ici de reprendre à une échelle démesurée une technique précieuse employée au xviiie siècle pour l'habillage de petits objets de dames7,8.
Dès ses premières réalisations, le jeune héritier affirme une volonté de dépouiller les meubles, de détourner les usages, de purger les espaces existants de leur trop-plein décoratif et de laisser respirer les lieux où deux tonalités dominent : le blanc et le beige, mats dans tous les cas. Le mot de Jean Cocteau quittant l'appartement dénudé de la rue de Verneuil restera célèbre : « Charmant jeune homme ; dommage que les voleurs lui aient tout pris ».