Connaissance des Arts Avril 2009

Connaissance des Arts Avril 2009
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2009 le guide du marché de l'art

 

"Connaissance des Arts" et "Les Echos" dressent, dans ce hors série, un bilan très complet du marché de l'art en ce milieu d'année 2009. D'un état des lieux objectif de la situation aux nouvelles tendances qui se dessinent, ce hors série est l'outil indispensable pour quiconque s'intéresse au marché de l'art, des antiquités à l'art contemporain.

68 pages, environ 100 illustrations, 9 €.

Des prix stabilisés

La crise financière a apaisé la frénésie du marché de l'Art Déco. Les prix se stabilisent et les acheteurs sont désormais en position de force. Quant à l'Art Nouveau, il reste désespérément délaissé. L'Art Déco, spécialité-phare de ces dernières décennies, est à un tournant de son histoire. En pleine période de boulimie du marché à l'égard des années 1918 à 1950, en juin 2007, le triomphe de la collection Dray chez Christie's à Paris, l'avait couronné malgré un cours du dollar défavorable. Première grande collection dispersée après l'éclatement de la crise, celle de la collection Pierre Bergé et Yves Saint Laurent, fin février, est considérée un baromètre en ces temps de tempête. Pour cette discipline, ce que les marchands et maisons de ventes retiennent de l'année 2008, c'est qu'il y a eu un avant et un après la faillite de Lehman Brothers. L'année passée demeurera essentielle¬ment un excellent souvenir. Le marché avait pris une telle confiance en lui que le printemps vit pleuvoir les records. Plus d'1,3 million d'euros pour une bibliothèque créée vers 1940 par Prinz et Jean Dunand, estimée entre 600 000 et 800 000€, vendue à un galeriste parisien par Christie's, fin mai. Chez Sotheby's le 3 juin, l'ensemble de meubles de Marc du Plantier de la collection Morbecq, toujours des années 1940, atteignait le million d'euros ; les meubles s'étaient vendus bien au-delà des estimations, « raflés » par le marché américain. À Drouot, le 9 juin, un ensemble de bureau de 1938 par Armand-Albert Rateau dépassait 3,6 millions d'euros frais compris sous le marteau de la maison Baron-Ribeyre, bien au-delà des 700 000 € de leur estimation haute.

Connaissance des Arts avril 2009Tous les acteurs du marché, galeristes et particuliers, se battaient pour réussir à s'octroyer une marchandise de qualité. Longtemps méprisées, les créations des années 1940, à condition qu'elles soient sobres et luxueuses dans la lignée d'un Jean-Michel Frank, installaient leur cote. L'appétit des collectionneurs tirait même les cotes de créateurs jusque-là quasi inconnus, tels Albert Cheuret, et même jusqu'aux lignes de décoration des grands magasins, Primavera pour le Printemps ou Pomone pour le Bon Marché, dont on commençait à jauger la progression possible. Difficile de dégager des tendances à l'heure où les acheteurs se font rares. Pourtant, l'Art Déco épuré qui préfigure la modernité semble tirer son épingle du jeu. C'est le cas des créations sobres et chic de Paul Dupré-Lafon ou encore Jean- Michel Frank.

Il est vrai que ce style développé dans les années 1930 et 1940 incarne une tendance forte, chic et zen, de la grande décoration actuelle. Le marché ne supporte cependant que des objets exceptionnels, avec des pedigrees irréprochables. Le must demeure les commandes pour de très grandes et célèbres fortunes de leur temps, ou une provenance directe de l'artiste ou de sa famille. Cela est d'autant plus valable pour les pièces plus décoratives, dont la cote est bien moindre et l'avenir plus incertain.
Dans une moindre mesure que dans le design, les spéculateurs se sont intéressés à l'Art Déco et de nouveaux collectionneurs ont fait leur entrée sur le marché à la faveur de l'euphorie des années de gros dividendes boursiers.

La Biennale des antiquaires, en septembre, fut une excellente cuvée. Le succès a souri aussi bien aux galeristes adeptes des valeurs sûres que sont Dupré-Lafon ou Jean-Michel Frank, qu'à un trublion tel Willy Huybrechts, qui avait joué son plus joli coup de poker en présentant une sélection de meubles « top qualité » de la maison de décoration Dominique, pourtant longtemps considérée comme un second couteau de la nébuleuse Art Déco.Connaissance des Arts avril 2009 Des prix conséquents, entre 50 000 et 300 000 €, n'avaient pas découragé les acheteurs alors que pointait déjà la rumeur de la chute de Lehman Brothers. Mais dès novembre et décembre 2008, l'intérêt pour la spécialité commença à s'émousser. En salles des ventes, la clientèle américaine, « carburant » du marché, se raréfia. Le pourcentage de lots vendus diminua sensiblement. « Pour 2009, nous ne nous attendons évidemment pas à une conjoncture merveilleuse , déclare Christian Boutonnet de la galerie L'Arc en Seine, mais nous avons l'avantage de l'utilitaire. Le marché ne va pas s'arrêter du jour au lendemain. Nous comptons sur la force d'inertie. » L'Art Déco demeure en effet une marchandise nécessaire aux grands décorateurs en cours de réalisation des splendides demeures de nombre de happy few, particulièrement américains. En cours de réalisation, ces commandes luxueuses et onéreuses ne peuvent s'annuler en cours de route. Or l'Art Déco est plus à la mode que jamais outre-Atlantique. Tout début février, des marchands de la rive gauche, presque incrédules, ont reçu la visite de Leon Black, un des plus grands collectionneurs américains, multimilliardaire qui pourtant a dû perdre quelques plumes dorées dans le marasme financier. Pour le très haut de gamme, le marché se maintient donc plutôt bien. Au moins quatre très grands collectionneurs internationaux attendaient, embusqués depuis des années, que passe sous le marteau le fameux Fauteuil aux dragons verts de la collection Pierre Bergé Yves Saint Laurent, chef-d'oeuvre de cuir et de laque imaginé par Eileen Gray en 1922. L'adjudication finale fut de près de 22 millions d'euros. Du jamais vu. Ce phénomène résume bien le nouvel ordre du marché de l'Art Déco : pour des pièces rares et luxueuses de grands créateurs, les acheteurs sont toujours présents. « La vente Bergé Saint Laurent présentait une trentaine de pièces Art Déco à des estimations costaudes, remarque Christian Boutonnet. Les experts n'avaient pas prévu de descente. » Bien vu. Les résultats ont défrayé la chronique, et en général largement dépassé les estimations « Le marché se resserre sur les années 1920 », remarque Cécile Verdier, directrice du département des arts décoratifs du xxe siècle chez Sotheby's. Les années entourant l'apothéose de l'exposition des Arts décoratifs de 1925 redeviennent les marchandises les plus recherchées par les collectionneurs, comme avant le début de l'emballement du marché, au tournant du millénaire.
Les ventes aux enchères ont été particulièrement impitoyables cet hiver. Les taux d'invendus ont augmenté généralement d'au moins 20 %, et les prix d'adjudication se sont davantage rapprochés des esti¬mations basses que des estimations hautes. En outre, « les phénomènes d'aftersales, ces ventes conclues après la fin des enchères, se développent, explique Cécile Verdier. Connaissance des Arts avril 2009On est passé d'un marché de vendeurs à un marché d'acheteurs ».
Terminé le temps des batailles acharnées, de la quête de la moindre marchandise. Aujourd'hui, c'est l'acheteur qui a le dernier mot. La sanction guette les objets de second choix, que Christian Boutonnet définit comme « objets de qualité moyenne, commandés à l'époque pour une clientèle moyenne, dont les cotes avaient été jusque-là anormalement tirées vers le haut ». Cécile Verdier est du même avis : « Le marché va sanctionner les créations purement décoratives des années 1930 à 1950. » À privilégier donc, si on en a les moyens : les meubles et objets peu communs, de très belle qualité, réalisés pour des commandes très prestigieuses. Signe des temps également, les acheteurs ne laissent rien au hasard concernant l'authenticité des pièces. Dans ce contexte morose, la sculpture Art Déco témoigne d'une santé relative, particulièrement la sculpture animalière. Le 3 juin 2008 fut celui du record aux enchères pour François Pompon, dont un Ours polaire de 1925, en pierre blanche, dépassait les 260 000 € chez Sotheby's. La tendance s'est maintenue, avec de larges dépassements d'estimations pour le sculpteur observés en novembre chez Christie's.
« Ce phénomène s'explique par la très forte cote de Rembrandt Bugatti, désormais inatteignable pour beaucoup. Elle profite à Pompon, par capillarité », explique Cécile Verdier. L'effervescence autour de Bugatti, dont le marché est réputé exempt de faux et dont le moindre petit léopard peut aisément dépasser les 400 000 € d'adjudication, n'est pas prête de s'apaiser à la veille de la publication d'un nouveau catalogue raisonné du sculpteur. Pompon n'a pas toujours bénéficié de la meilleure cote de confiance ; la séduction de ces animaux polis comme des galets ayant engendré bien des contrefaçons. «Le marché, aujourd'hui, établit mieux la hiérarchie entre les pièces », estime Cécile Verdier. Pour la jeune femme, une signature à suivre en sculpture animalière pourrait être Mateo Hernandez, dont une Lionne qui pleure a dépassé les 35 000 € d'adjudication lors de la vente Dray. Sa technique de taille directe sur pierre engendre le fait qu'on ne connaisse pas de faux de cet artiste. En revanche, sur ce marché devenu impitoyable, l'Art Nouveau attend toujours son heure. « Nous avons tous espéré que l'euphorie de ces dernières années permettrait à l'Art Nouveau de faire son grand retour. Connaissance des Arts avril 2009Cela ne s'est pas vérifié. L'arrivée des Russes sur le marché aurait pu faire redémarrer cette spécialité. Il n'en a rien été... », explique Cécile Verdier. Le temps glorieux des années 1990, quand le moindre vase en verre multicolore de Gallé ou Daum s'arrachait au moins l'équivalent de dizaines de milliers d'euros, semble définitivement éloigné. En conséquence, le marché est en sommeil, les vendeurs potentiels ne se séparant pas de leurs pièces, attendant des jours meilleurs. Même triste constat pour les objets de la Sécession viennoise ou les premières modernités allemandes, qui pourtant ont fait un beau retour en galerie ces dernières années.
« En 2009, il ne faut pas s'attendre à trouver des pièces d'exception sur le marché », juge Cécile Verdier. Si le contexte général est morose, il faut savoir raison garder sans céder au « catastophisme ». La crise, de l'avis général, effectue une purge, sans doute salutaire.

AXELLE CORTY

Publicite de la galerie
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